Le génie de Nelson Makengo dans ce court-métrage documentaire est sans nul doute celui d’avoir su utiliser le vide pour remplir l’histoire d’une indépendance bancale, celle de la RD Congo ou de l’Afrique tout court.
La jeunesse assassinée
Bang ! Bang ! ça commence avec un coup de feu. L’écran est tout noir pendant quelques secondes, toute une vie. Des bouts de mots défilent, non, se cherchent dans le noir, fichus, perdus comme une âme qui veut se frayer un chemin dans la vallée de l’ombre et de la mort. Attention, on peut se sentir la mort dans l’âme, d’emblée. Mais hop, voilà une voix qui vous tire prestement des abîmes, cette voix est reconnaissable parmi mille autres, c’est celle de Patrice (Emery) Lumumba, figure de proue de la lutte pour l’indépendance de la RD Congo. Il a été assassiné en janvier 1961, à seulement 35 ans, c’est-à-dire, mon âge actuellement.
E’Ville pour Elisabeth Ville, Lubumbashi.
Ville minière par excellence, je vous le jure, demandez à Fiston Mwanza Mujila, auteur flamboyant de Tram 83, il vous le dira. Lubumbashi c’est la mine, du cuivre, du zinc. L’or et le fameux cobalt si chers à nos smartphones, c’est Lubumbashi. Je vous le jure, Lubumbashi, c’est ce cendrier en malachite où j’écrase mon joint, je l’avais ramené de là-bas, lourd dans ma valise. En 2012, je crois. C’est l’année où Kabila fils devait recevoir le sommet de la Francophonie. Quelques mois avant, nous avions été conviés, écrivains, universitaires, gens de lettres, toustes à Lubumbashi. Jean-Louis Kuffer, carnettiste et critique littéraire suisse m’avait pris avec lui.
Lubumbashi, c’est là que je rencontre pour la première fois tonton inKoli Jean Bofane, le papa des Mathématiques Congolaises. Coup de foudre ! Max Lobé ! Qu’il m’apostrophe plus tard, lorsque nous avons bien fait connaissance, je vais nous chercher de la bonne diamba! De l’herbe congolaise aurait dit Hervé Guibert dans Fou de Vincent !
Nous voilà qui finissons en délicieux joints et éclats de rires dans la chambre d’hôtel de Jean. Là, comme dans la mienne, à côté d’une Bible à chevet, un règlement intérieur stipule clairement : il est interdit à deux personnes de même sexe de plus de 14 ans d’occuper la même chambre. Jean et moi en pleurons de rire, il a roulé le joint avec une feuille de papier A4 normale, blanche, pas de feuille à rouler à l’horizon.
( à lire aussi; souvenirs de Lubumbashi. Une vie de Lushois.)
Du souvenir au discours, la puissance Makengo
Tous ces souvenirs et bien d’autres montent en vapeur en moi lorsque je visionne le court-métrage documentaire de Nelson Makengo. Jean Bofane me manque. Fiston Mwanza autant. Et le jeune Mbougar Sarr qui publie en cette rentrée ; nous étions danser tous les 4 une fois à l’Usine, à Genève.
Comme j’écrase ma larme nostalgique, sourire aux lèvres, la puissance Makengo me rappelle au film. Une voix lit le texte de Patrice Lumumba, la lettre qu’il envoie à sa femme Pauline, quelques heures seulement avant de se rendre à l’ennemi, vendu par tonton Mobutu Sésé Séko etc., trainé comme une bête de foire et fusillé plus tard comme on fusille une proie facile, trop grosse et trop facile. On fusillait dans le même temps l’indépendance du Congo.
Que retenir de ce texte à la puissance d’une perforeuse. Je ne sais pas, je crois entendre, ici et là, la voix de Tonton Mobuto, il doit donner une interview à un journaliste. Ce doit être une archive. Mais seul l’audio a été utilisé avec une intelligence mordante. Puis une voix off, celle de Frank Moka? Je me dis que Jean Bofane devrait lui aussi prêter sa voix pour ce genre d’exercice, lui qui l’a, sa voix, si rauque et grave.
À Pauline, les mots qui brûlent.
Les mots sont directs. Nets. Clairs. Ça me parle. Il est question d’indépendance, bien sûr que ça me parle, beaucoup même. En boucle, ça sonne, ça martèle, ça rappe, la lutte ne prendra fin que lorsque l’indépendance sera effective, vraiment effective, ce qui est loin d’être le cas, l’homme n’est rien sans dignité, pas de dignité sans indépendance, la vie, la dignité, la force de dire non à l’oppresseur, l’indépendance, la vraie, encore et encore, c’est le suc de la missive de Patrice à sa chère Pauline.
Ah Pauline ! Ça brûle comme un souvenir, un souvenir qui en réalité est un espoir, le passé et le futur se mordent la queue.
Ah Pauline ! Ça brûle, comme ces images en noir et blanc, criblées de balles, souvenirs d’une époque où l’espoir emplissait les cœurs. Dans le Katanga et bien au-delà.
Pauline ! Eh Mama Pauline de tonton Mabanckou. Lui, Alain, est de l’autre Congo, tout haut là-baaaas, loin là-bas en haut. C’est le Congo qu’on peut apercevoir depuis les hauteurs de l’hôtel Pullman de Kinshasa.
Ah Pauline Opanga Lumumba, que reste-t-il du cri pour l’indépendance ? La lettre a brûlé. L’indépendance avec.
La voix-off s’éteint. Il ne reste plus que la puissance évocatrice, la force subversive d’un mini docu qui m’empêche de fermer l’œil…
Projection du film le samedi 21 août à 15h30 à la salle Paderewski du Casino de Montbenon, à Lausanne.
Le programme complet du festival de Cinémas d’Afrique de Lausanne.
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