"Max Lobe ouvre l'année 2022 avec une nouvelle érotique impliquant un gamin. "Fabi et les Frappeurs de parpaings" est le résultat d'une nouvelle approche dans son écriture autofictionnelle: la restitution des souvenirs d'enfance. C'est également le rendu d'une collaboration drôle et amicale avec l'illustrateur genevois Fabian Menor*."
De ses petites mains de gamin, Fabi traîne son banc boiteux d’un bout à l’autre de sa chambre. À la hauteur de la fenêtre, il s’arrête, monte sur son banc et lève les talons. Il cale son regard à droite, tout en bas du cadran. Seuls débordent son front bombé et ses yeux curieux. Ça y est : il peut maintenant regarder les jeunes frappeurs de parpaings qui prennent leur douche, nus, là-bas, dans la véranda arrière de cette maison en construction.
Le premier arrive avec le coucher du soleil. Son ombre est aussi pleine que le seau d’eau qu’il tient par le manche. Il siffle un air que Fabi ne peut pas entendre, puisqu’il n’est pas tout proche. Le premier laisse tomber son pantalon de travail. Il est tout nu. À la vue du sexe du premier, Fabi s’agrippe au rebord en bois de la fenêtre à persiennes de verre.
Le premier utilise une vieille boîte métallique pour puiser dans son seau. Ça ruisselle de la tête aux pieds ; il tient dans une mare sale. Alors qu’il se savonne le pubis, les aisselles et sa tignasse drue, ses deux collègues, le deuxième et le troisième, le rejoignent dans la véranda arrière qui leur sert de coin de douche.
Ça balance comme des grands safous entre leurs jambes. Le blanc de la mousse de savon contraste avec le sombre de leur peau. Ils utilisent une éponge de fils de plastique pour se frotter le corps. Fabi regarde tout cela et se demande quand est-ce qu’il sera lui aussi, comme ça ? Comme ça comme dans cette belle camaraderie. Une camaraderie nue.
Le premier fait la grimace parce qu’il a du savon dans les yeux. Fabi plisse le regard d’inquiétude. Le deuxième jette un peu d’eau sur le visage du premier ; ce qui semble le soulager. Fabi trouve que le premier est beaucoup trop parfait pour se mettre du savon dans les yeux. Quand même, c’est un frappeur de parpaing et de loin le meilleur des deux autres. Même le petit Fabi sait qu’il suffit de bien fermer les yeux.
La poche à couilles du troisième pendouille sous le regard médusé de Fabi. Vivement qu’il grandisse donc et qu’il ait, lui aussi, quelque chose de semblable entre ses jambes. Entre ses mains sinon.
Le premier se frotte le sexe qui peu à peu se dresse. Le deuxième et le troisième se rincent à la va-vite. Ils rigolent. Fabi veut entendre jusqu’au trémolo de leur rire, mais il n’en perçoit que le strident. Le deuxième et le troisième prennent leurs effets, ils tendent les bras en agitant les mains comme s’ils refusaient quelque chose. Ils s’éloignent. Mais ils ne vont pas loin. Le deuxième reste un instant regarder. Il ne rit plus aux éclats, il sourit. Il tient ses habits de travail en cache-sexe dans une main. Le troisième est rentré dans la maison. Le deuxième s’avance et touche le sexe en érection de l’autre. Ça dure quelques secondes. Il relâche aussitôt le sexe ensavonné du premier et agite les mains, cette fois-ci comme s’il avait touché quelque chose de chaud ou de sale. Le deuxième se tient sur le côté de la véranda lorsque le premier se déverse en de brèves secousses. Il a le corps raide, les fesses serrées, le bassin pointé vers l’avant comme un canon à eau, et ça pince sur le téton gauche.
Le troisième arrive. Les autres hochent la tête et se figent. Ils doivent se demander si le troisième a vu. Est-ce qu’il a vu le premier se branler ? Est-ce qu’il a vu le deuxième regarder le premier en train de se branler, ses vêtements à lui en cache-sexe dans une main ? Est-ce qu’il a vu le deuxième aider le premier à se rincer le sexe qui coule encore ? Le troisième dit un truc et les voilà qui se plient de rire. Le premier court partout dans la cour arrière de la maison en construction. Le deuxième et le troisième sont à ses trousses. On dirait des gamins. Ils sont aussi beaux que le nu de leur rire. Lorsque le deuxième et le troisième réussissent à mettre le premier au sol, la poussière, le dos dans le sable, la joie de leurs corps parvient à Fabi. Il sourit, lui aussi.
Ils sont tous les trois de retour sur la dalle de la véranda arrière qui leur sert de coin de douche ; puisqu’ils doivent se rincer à nouveau. Ils se tirent des jets d’eau comme des enfants qui s’amusent. Fabi se dit qu’il aurait pu être là, qu’il aurait voulu être là, avec eux, au milieu d’eux, recevant ces jets qui fusent avec le rire.
Et l’eau est la même que pour frapper les parpaings. Faut la tirer dans le puits là-bas à l’entrée. Parce que frapper les parpaings, c’est aussi puiser de l’eau, sous un chaud soleil, les épaules musclées, les bras chargés, ça peut monter jusqu’à 40 à l’ombre, la chaleur, sous la poussière de la route non goudronnée qui passe devant la maison en chantier. Du sable, beaucoup de sable, du ciment, beaucoup de ciment qui donne à leur peau noire quelque chose d’argileux, de l’eau tirée du puits, seau après seau, les pelles rondes s’agitent sous la puissance des mains dures, des cônes gris-béton-sable naissent, un cratère à la pelle ronde, tout au centre, y verser de l’eau, et encore la puissance des bras qui mélangent le tout, ça se courbe, ça se tord, ça se dresse, ça se recourbe, ça se retord et se redresse, malaxer, malaxer encore et encore, couler dans les moules, encore un coup de dos de pelle pour bien tasser, parpaings de 10, parpaings de 15, ranger, frapper, démouler, un à un, encore un dernier effort, pas l’ultime, parce que l’effort c’est la chansonnette du frappeur de parpaing.
Le premier est maintenant seul dans le coin de douche ; puisqu’il a été roulé dans la cour sableuse. Encore un peu d’eau. Pendant qu’il s’essuie, il lève soudain les yeux, le regard circulaire, haut, comme s’il voulait savoir si le Bon Dieu l’avait épié, Lui aussi. Ses yeux tombent exactement dans ceux du petit Fabi qui soudain perd son équilibre, glisse et tombe de son vieux banc. À sa mère, il dira qu’il s’est tordu le poignet en essayant de grimper sur un cocotier.
* Max Lobe a écrit cette nouvelle à Ouidah au Bénin dans le cadre de la résidence d'artistes Genve-Ouidah 2022 qu'il a faite notamment avec Fabian Menor et Djamile Mama Gao, poète et slameur béninois.
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