Lausanne-Ouchy, 20 mai dernier. Gallérie Foreign Agent, tenue par Dr Olivier Chow. Il est bientôt 19 heures lorsque j’arrive au vernissage de l’exposition exclusive du peintre zimbabwéen Tafadzwa Tega. L’événement avait commencé à 17 heures. Sic !
Ce qui me frappe tout de suite, c’est la couleur. Par un système d’éclairage précis, la gallérie a mis en exergue ces couleurs. Sont-elles seulement une perception, une idée, un mirage ? Non, il s’agit ici d’une sensation réelle. Les couleurs qui égayent le contexte de déconfinement dans lequel nous sommes plongés. C’est comme avoir accès (enfin!) à la lumière au bout du tunnel. Mais quel long et sombre tunnel ! Les couleurs. La liberté.
Une exposition inédite dans un lieu de choix, donc.
Il m’a fallu retourner dans les anciennes œuvres de Tafadzwa Tega, ici et là, sur la toile, pour comprendre qu’une telle explosion de couleurs proposée dans cette commande (réalisée en début 2021), n’est pas une habitude chez le jeune artiste zimbabwéen installé à Cap Town, en Afrique du Sud. Tafadzwa Tega est un habitué des tonalités mornes, souvent même pixélisées. Une sorte de torpeur qui ne le quitte jamais. Sombre. Noir.
Ici, l’artiste fait le choix du plein-couleur pour dire la noirceur de la xénophobie sud-africaine à laquelle font face régulièrement de nombreux Africains, ses compatriotes zimbabwéens d’abord, mais aussi les autres, Nigérians, Soudanais, etc. De quel pays arc-en-ciel parlons-nous ? Sorry, hein, mais la xénophobie n’est pas le propre des Nations blanches. Non, la xénophobie n’est pas la propriété de Donald Trump. C’est une question humaine. Et c’est en cela que le propos de Tafadzwa Tega m’interpelle : il remet l’être humain au centre de son viseur.
Oh Malik Sidibé ! Où es-tu ? Je suis sûr et certain que là-haut, là où tu te trouves, entouré de tes génies du blanc/noir de la photographie, tu es fier du jeune Tafadzwa Tega. Oui, parce Tafadzwa Tega, plonge ses modèles (qu’il connaît bien) dans un cadre Sidibéen. Plan fixe. On fait la pose ? Attention, click ! Non. Point de click avec Tafadzwa Tega. Même pas de tchisss ! Le gars peint.
Il en résulte des portraits hors du commun. Amainini, comme Muroora ou Mutungamiri ont toutes des histoires différentes, soit ! Mais la similitude est là, dans les replis, les interstices de la migration. En tant qu’immigrées en Afrique du Sud, elles ont dû vendre leur chose, leur chose-là, alors même qu’elles en ont plein la tête. Le Zimbabwe est l’un des pays les plus instruits au monde.
Comme ils sont beaux, ces livres mis en évidence, souvent piétinés, calpestrati, par les modèles qui posent ; elles laissent percevoir leurs histoires singulières. Le détail gris pour dire le noir de leur peau est d’une puissance unique. Les plantes, comme les lignes du peintre, ancrent les modèles dans leur réalité nouvelle. Réalité partagée aussi bien par les modèles que l’artiste. Là, immigrés en Afrique du Sud, Ils sont tous ancrés. Enracinés. Ils poussent. Dans cette terre nouvelle, ils y grandissent. Encore. Malgré tout. La dignité en halo. Un phototropisme du génie. Le génie africain. Le génie noir.
Pop art. African pop art. Black Warhol. Wole Lagunju. Fred Ebami. Etc. Il n’y a pas que le célèbre photographe malien Malik Sidibé comme source d’inspiration. Car l’inspiration vient de partout, d’ici, d’ailleurs, du dedans comme du dehors. Le cubisme de Picasso est là, bien présent dans cette œuvre de Tafadzwa Tega.
De la lumière, des couleurs, beaucoup-beaucoup de couleurs, une poésie subversive pour témoigner d’une Afrique actuelle, loin du prêt-à-penser. Allez ! Go ! Faites un tour chez Foreign Agent à Lausanne-Ouchy et venez me dire que cette exposition est tout, sauf banale.
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