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Photo du rédacteurMax Lobé Officiel

Littéxpo : Ezra Sibyl Benisty, la promesse d’une littérature queer romande.


Château Bohème, Tentligen dans le nord du canton de Fribourg. Une des 11 pièces de la bâtisse du XIXe siècle. Là, à l’angle mort de la chambre lumineuse, on l’aperçoit. Ezra Sibyl Benisty, la révélation littéraire queer de Suisse romande.


Iel porte des boucles noires qui, aux extrémités, se teintent progressivement de violet. Son visage angélique est aussi barbu que serein. Sur ses épaules tombe un léger kimono dont le motif fleuri fait penser aux papillons du printemps ; d’ailleurs, au dehors, l’été n’est pas toujours là. Accroupi.e devant son matériel sonore dont le beat et le volume escortent, en douce, sa voix, Ezra performe. Iel dit la messe ce dimanche.



Vous avez dit Queer ?!

La chambre est bondée de monde. Les un.es.x sont assis.es.x à même le sol, les autres sur les vieux fauteuils et certain.es.x carrément allongé.es.x dans le lit. Tiens, voilà Camille Lusher, notre traductrice nationale. Plus tard, elle me dit qu’elle ne voulait manquer, sous aucun prétexte, cette lecture queer.


Au fait, ça veut dire quoi queer ? Bizarre ? Tapette ? Pédale ? Homme-femme non-assigné.e ? Normal.e ? Peut-être tout cela. Ou plus précisément, rien. Oui, parce qu’avec Ezra, on comprend qu’être queer, c’est d’abord une histoire, une enfance, un parcours, le trouble de la découverte d’un corps. C’est une possibilité d’être au monde. Tout simplement. Être. La somme de toutes les identités qui nous traversent sans que jamais une ne s’impose aux autres.


Un texte sensuel pour dire le poil.

La perfo-lecture queer d’Ezra est le début du récit d’une enfance tout à la fois banale et particulière – d’ailleurs, on attend impatiemment une version longue qui ne saurait tarder*. C’est l’histoire de la machine patriarcale en branle, érigée dans toute sa splendeur, passive et agressive. Les injonctions. Avec sa poésie-prose qui coule, coule limpide, jusque dans les interstices de l’intimité, iel est d’une lucidité rare.


« Un soir, mon père s’était endormi sur le canapé du salon, dans sa chemise béante, son slip blanc distendu. Ce qui pouvait en dépasser par inadvertance éveillait en moi une certaine curiosité, malgré le dégoût que j’éprouvais pour l’homme. »


Qu’on ne s’y méprenne pas. Ce n’est pas une énième histoire de relation compliquée avec la figure paternelle. Il s’agit de l’enfance d’Ezra avec son père. Cette histoire-là a ceci de bouleversant qu’elle se dit comme le chant des oiseaux, au petit matin, avec des mots simples, la voix susurrante, fébrilement puissante. Tout ça pour parler des poils. Oui, les poils ! Comment se rase-t-on la barbe de père en fils, de génération en génération ? Blaireau, mousse, lame, le geste raté qui verse un peu de rouge dans les linges blancs. Même la mauvaise foi, ici, se colore de délicatesse.


« La lame dérape, je laisse un couinement s’échapper d’entre mes lèvres. Il me faut quelques secondes pour réaliser que j’ai rouvert les yeux sur le visage de mon père. Pourquoi tu bouges, arrête de bouger !»



Le corps exposé**.

Avant d’arriver dans la chambre où Ezra performe, un hall. Les murs y sont recouverts de papier peint : une ondulation florale en motifs. Sur ces murs-là, Ezra livre une expo polaroïd pour le moins surprenante. Des instants de vie. Des morceaux de souvenirs. Le lac, les ami.es.x, le harnais. Ici, sur cette image, on devine un difficile réveil matinal ; iel est enveloppé.e dans des draps blancs de solitude. La redescente doit être rude, peut-être est-ce à la suite d’une nuit intense à partager son corps et ses émotions avec un client ? Sueur, salive, semence. Jouir et faire jouir. Là, sur ce petit carré sépia, iel pose dans un fauteuil, la moustache aussi épaisse que le sexe qui repose entre ses cuisses grand-ouvertes. La bibliothèque, en background, témoigne de l’amour qu’Ezra porte aux livres : iel est doctorant.e en littérature anglaise.



La mise en scène de son corps, sa réappropriation et même sa représentation pornographique (dans un placard !) dit le monde, notre monde à touxtes. Adieu les discours creux. L’expérience dégouline comme la sueur, et sans doute le foutre, sur ces corps qui s’enlacent. Sa bite en érection dépasse le short jaune sans rien dire de son genre. Prostitution. Cordes BDSM. Putain. Quel bouquet de poils !


La puissance n’est pas absente. Elle est là, dans l’exposition d’un corps fragile et recouvert de tatouages – peut-être eux aussi des instantanés. Ces images crient, avec force douceur, les maux d’une société qui vous assigne un rôle et vous commande de consommer. C’est le témoignage vivant des émotions contrastées d’un parcours de vie jalonné de questionnements et de réflexions.


Ici, point de King Kong, hein, Virginie. C’est tout simplement Ezra. Que Grisélidis Real et sa révolution des putains reposent en paix. Autant pour Guibert et Foucault. Leurs travaux portent résolument des fruits, même à Tentligen.



*Sa toute première nouvelle sera publiée chez Paulette éditrice dans un ouvrage LGBTQIA+

**Découvrez l’univers d’Ezra et sur instagram @br8kblowburn



Eden Eden, une biennale à la Bohème.


Le Château Bohème est une belle bâtisse du XIXe Siècle. 11 pièces, 800 m2 de parcs, un jardin Français et trois pavillons. C’est là que l’association du même nom, Château Bohème, est née en novembre dernier. Un des buts est de faire dialoguer les artistes germanophones et francophones suisses.


Eden Eden est la première Biennale de sculptures, à voir jusqu’au 11 septembre 2021. David Brülhart, curateur et en charge des expos du château, présente un projet de dialogue en binômes bilingues. Par exemple, la plasticienne fribourgeoise Violaine Hayoz Wantz propose des figures très colorées sur du plexiglas. Elle utilise de la pâte à modeler ! Et le résultat est d’autant plus étonnant que les œuvres exposées, en extérieur, résistent parfaitement aux caprices de la météo de cet été pluvieux. Violaine est en binôme avec la Bernoise Véronique Zussau qui, elle, dépose une tige métallique en acier inoxydable près d’un trou réalisé dans un mur. L’histoire du bâton comme artéfact est ainsi sobrement dite.






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