Texte écrit en octobre 2012, de retour de Lubumbashi, avec Jean-Louis Kuffer.
Là où nous devons passer la soirée est à deux petites centaines de mètres du Park Hotel. C’est Fabio le Kinois-par-procuration qui me l’a dit. Pourtant, Le Milou et quelques autres paresseux sont bien décidés à s’y rendre en bus. Moi et quelques autres, notamment Bétie-Bestie la Femme-de-Loi-ambianceuse, Domi-Domi la Blonde Liégeoise, Bofane le Mathématicien-turbosiestard, et Fabio le Kinois-par-procuration, nous y allons à pieds.
Dans le maquis, il y a une grande cour pleine de table pour recevoir les invités. Les gens sont attroupés par ci par là. On mange des brochettes-saucisses-pop-corn et on boit des bières. Un podium arrangé avec les moyens qu’on peu avoir à Lubumbashi trône au devant de la scène. Le matériel musical me fait penser qu’il s’agira certainement d’une soirée dansante. On ne nous l’avait pas annoncé ainsi. Je me réjouis de cette surprise.
Je prends place aux côtés de mon compère, Le Milou. Il me rabâche combien il est heureux d’être en Afrique noire. Combien il se sent bien là. Les mots, de sa bouche, coulent maintenant comme les eaux du fleuve Congo. Il me parle des gens, ceux que nous avons pu rencontrer depuis notre arrivée. De ceux qui nous ont étonné avec leurs longs-longs discours. De ceux avec lesquels nous avons pu échanger quelques tirades, ceux de l’aéroport très international de Lubumbashi où on récupère ses bagages, pas sur un tapis roulant, mais à la criée. Du petit commissionnaire au maillot « Katanga express » qui nous a pris vingt euros séance tenante pour récompenser sa prouesse de nous avoir récupérer nos bagages. Du monsieur le Chef du Protocol qui n’arrivait pas à retrouver un de nos compères d’Autriche, Mwanza, et dont nous allons découvrir plus tard le caractère percutant de la plume. Du Héros national dont les effigies tapissent la ville. Des chauffeurs fous-fous qui conduisent sans se soucier du lendemain – que le Dieu Nzambé les protège !… De ces dames de ménage qui font les sentinelles dans les toilettes de l’Aéroport d’Addis-Abéba. De ceux qui dans le même aéroport font des pauses-prières, là, à deux pas des chiottes – Allah Akbar ! De l’étonnant aéroport international de Rome qui meurt tous les soirs à dix heures piles. De ceux qui, dans cet aéroport-là, vous toisent crânement alors qu’ils sont censés vous renseigner. M’indigno ! Le Milou parle. Parle et ne semble pas vouloir s’arrêter. Heureusement qu’une voix va nous couper notre causette.
C’est un monsieur assez slim, le minuscule regard caché derrière de petites lunettes à monture ronde. Il est vêtu d’un ensemble veste blanc. Un cigarillo au bec. Les mots, chez lui, coulent aussi. Cela fait bientôt cinq minutes qu’il parle dans le microphone. D’une mimique, je fais remarquer au Milou que le volume de la sono me casse le tympan. « C’est parce que tu es trop proche des baffles », il dit.
On commence avec du théâtre. Une pièce drôle qui raconte l’histoire d’un homme stérile ou devenu stérile, à la conquête d’une éventuelle paternité qu’il aurait abandonnée avant de s’enfuir vers l’Europe. La voix off, gérant d’une petite cabine téléphonique mobile, joue le rôle du sait-tout du quartier populaire où se déroule l’histoire. Le père stérile et impuissant, à défaut de récupérer sa fille, cherche à redevenir homme, un vrai, un vrai-vrai homme. C’est chez le sait-tout qu’il trouve sa solution. Celui-ci lui donne des poudres magiques qui auront pour effet de réveiller « son serpent depuis longtemps enroulé qui ne pouvait alors ni se dérouler ni cracher ».
La soirée commence bien, je me dis. Je fume. Je bois un verre de Castel. Je ris de leurs longs serpents bantous-là qui se déroulent qui s’allongent qui crachent. Je demande au Milou comment, lui, il trouve les choses. « Excellent ! », il répond comme n’importe quel Blanc qui découvre l’Afrique noire pour la première fois.
Un groupe de danse traditionnelle s’empare de la scène. Trois filles au visage trop condimenté et aux faux cheveux noirs et drus montrent de quoi elles sont capables en matière de déhanchement. Il y a aussi un gars façon-façon, assez maniérée qui les accompagnent dans leurs pas de danse très cadencés. Avec une dextérité déconcertante, le type rivalise ses petites camarades. Je me demande ce que ma sœur Désirée en penserait si elle l’avait vu. Sans doute aurait-elle été scandalisée par ses manières de fille, certes, mais elle aurait été envoûtée par son roulement de hanches. À part les danseurs ou plutôt les danseuses, il y a quelques chanteurs dont un leader. Il mouille le maillot. Il donne tout ce qu’il peut. Et cela porte bientôt ses fruits. Voilà que tout le monde est debout en train de les arroser de billets de banque. Tout le monde se trémousse. Même Le Milou : c’est un évènement ! Je filme et je prends tout en photos à l’aide de mon Iphone. Les choses comme ça méritent d’être immortalisées, n’est-ce pas.
Puis je me tourne vers Mwanza, ce jeune écrivain résidant à Graz. – C’est quoi le nom de cette musique-là – Karindula. – De quoi parlent-ils ? – Des choses de la vie. Ce genre de groupes joue lors des grandes fêtes, surtout pendant les funérailles. Ils entonnent des chants de joie à l’honneur du défunt. Les gens dansent, crient, mangent, mais surtout boivent beaucoup. C’est la grande fête quoi ! – Ah bon ?! – Eh oui, mon ami. – Tu sais quoi ? C’est exactement comme cela que ça se passe à Douala, chez moi. Les funérailles sont de très grandes fêtes. Il y a des groupes musicaux qui viennent faire du Ntoudoumbé. Ici vous appellez ça Karindula. C’est une animation folle. On mange et on boit beaucoup. Et c’est pour le mort qu’on fait ça.
Entre Mwanza et moi, le courant passe. Deux gros Bantous se retrouvent.
De l’autre côté de la grande cour du maquis où nous nous trouvons, j’aperçois Bétie-Bestie la Femme-de-Loi-ambianceuse, Domi-Domi la Blonde Liégeoise, Bofane le Mathématicien-turbosiestard, Fabio le Kinois-par-procuration. Ils sont depuis longtemps dans le mouvement. Le Milou et Mwanza les rejoignent. Je les regarde avec un air un peu amusé. Pour la première fois, je vois Le Milou se lâcher comme ça, comme il peut, au rythme de tubes de Ndombolo. Loin de la Désirade, le corps doit bien être plus léger. Maillot jaune, Bétie-Bestie la Femme-de-Loi-ambianceuse mène le peloton. Elle se trouve bientôt au centre de la ronde formée spontanément par ses camarades. C’est une vraie-vraie princesse bantoue, elle. Il faut la voir faire ses manières-là en dansant. La classe ! J’en ris. Je regarde mes compères dans ce moment de folie et je note qu’une personne manque à l’appel. Mais où se trouve donc Ani-Ana de Lausanne-Kigali ?
Comments